Page 46 - BRO_Adrien Proust
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Un nouveau portrait est réalisé par A la demande de Jeanne Proust, l’ultime
Laure Brouardel (1852-1935) en 1891. portrait artistique d’Adrien est réalisé par
Peintre sans formation académique, Marie Nordlinger. Cousine de Reynaldo
elle a fait cependant une carrière de Hahn, l’artiste britannique a accompagné
portraitiste et d’aquarelliste. Elle avait Marcel dans son travail de traduction
épousé en 1887 le doyen la faculté des œuvres de Ruskin précisément dans
de médecine, collègue d’Adrien, Paul- les années 1902-1904 qui furent celles
Camille Brouardel, lui-même professeur du deuil d’Adrien, mort brutalement
de médecine légale et hygiéniste avec en novembre 1903. La note que rédige
lequel le père de Marcel entretient Proust le 15 mars 1905 pour accompagner
des relations amicales. Ils ont assisté dans Les Arts de la vie la publication
ensemble aux conférences sanitaires d’extraits de sa traduction de Sésame et
internationales de Venise et de Dresde les lys traduit sa reconnaissance
en 1893. Jeanne Proust écrit à Marcel à l’égard de l’artiste et ses propres
en octobre 1896 : « Mme Brouardel dit sentiments filiaux :
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que Fontainebleau est très humide », « Je dois faire précéder cette traduction de
ce qui suggère l’intimité des deux remerciements à Mlle Nordlinger qui a bien
familles.
voulu la revoir minutieusement. Le public
Sur ce portrait, Adrien Proust semble français ne connait guère encore son grand
s’être assis en visiteur familier de l’atelier talent de ciseleur. On peut voir d’elle au
de l’artiste parmi des accessoires un peu cimetière du Père Lachaise, le beau médaillon
hétéroclites qui servent au décor. en bronze qu’elle a fait de mon Père. Je lui
Son expression débonnaire tranche avec suis reconnaissant que les remerciements
celle du portrait de 1885 et traduit que je lui dois et lui adresse me permettent
la satisfaction d’une carrière réussie et de placer encore ici, à l’entrée de ce nouveau
la sérénité de sa vie personnelle. volume, la figure de mon Père dont
les yeux fermés à jamais ne sont plus ouverts
qu’au fond de la mémoire de ceux qui l’ont
aimé. Mais entre ses yeux et la vie, notre
mémoire tend le voile inécartable du Temps.
Ils ne voient rien de la vie qui passe, et
leur regard d’autrefois ne s’adresse qu’aux
choses d’autrefois que nous avons connues
(dont beaucoup sont déjà détruites sur
19. Correspondance de Marcel Proust, la terre et n’existent plus, elles aussi, que
texte établi, présenté et annoté par dans l’asile des mémoires fidèles) – À moins
Philip Kolb, Plon, vol. II, p. 135. qu’ils ne soient rouverts, dans un asile céleste,
20. Ibid. vol. V, p. 193. voyant les choses de toujours, que nous ne
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connaissons pas. »
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