Page 33 - brochure Potocka
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          des Papes, voulant humilier la superbe de la raison. Le récit
          des farces qu’elle faisait, dit-on, au célèbre Caro  me fait invin-
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          ciblement penser à cette histoire de Campaspe faisant marcher
         Aristote à quatre pattes, une des seules histoires de l’antiqui-
         té que le moyen âge ait figurées dans ses cathédrales afin de
          montrer l’impuissance de la philosophie païenne à préserver
          l’homme des passions . Ainsi, dans les farces attribuées par
                                  10


          9  Elme-Marie Caro, philosophe spiritualiste, membre de l’Académie fran-
          çaise. Ses cours à la Sorbonne attiraient toutes les élégances de l’époque,
          dont la comtesse Potocka. Il s’éprit de celle-ci, sans retour semble-t-il,
          puisqu’un jour elle en vint même à lui cracher dessus.
          10  Voici comment Emile Mâle raconte cette légende, dans un ouvrage que
          Marcel Proust connaissait bien : L’art religieux du xiii  siècle.
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         Aristote veut arracher Alexandre à l’amour de la belle Campaspe. La jeune femme
          jure de se venger du philosophe. Un matin donc qu’Aristote travaille dans sa chambre,
         Campaspe vêtue seulement d’une chemise violette, passe sous ses fenêtres en cueillant
         de la menthe en fleur. À cette vue, le sage s’émeut. Il descend dans le jardin et jure à
         Campaspe qu’il l’aime. Mais la belle Indienne exige qu’il le lui prouve en se laissant
          brider, seller et en la portant sur son dos. Alexandre, qui a tout vu, arrive sur ces
          entrefaites et surprend son maître dans cette fâcheuse posture. Sans s’étonner, le vieux
         logicien tire lui-même la moralité de l’aventure : Combien un jeune prince ne doit-il pas
         se défier de l’amour, puisqu’un vieux philosophe comme lui s’y laisse prendre.

         Ce charmant fabliau n’a pas la prétention d’être de l’histoire. Il ne fut jamais pris très
         au sérieux puisqu’il ne passa ni dans les biographies latines d’Aristote, ni dans la
         légende d’Alexandre. À vrai dire, il n’a été représenté dans nos cathédrales que parce
          que les prédicateurs en ornaient parfois leurs sermons.

         Emile Mâle précise que la légende est représentée sur cinq bas-reliefs,
          deux à la cathédrale de Lyon, un à l’église Saint-Pierre de Caen, un à
          Lausanne, et un dernier au portail de la Calende, à la cathédrale de Rouen
         ( Proust l’avait peut-être vu lors de son voyage à Rouen en 1900 ).
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