Page 15 - Brochure Reynaldo Hahn
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Intimité de deux esprits
Reynaldo Hahn peut alors devenir insensiblement pour Proust,
libéré d’une jalousie qui est « un démon qui ne peut être exorcisé, et
reparaît toujours, incarné sous une nouvelle forme » (La Prisonnière),
l’ami privilégié, à la fois maternel et fraternel, et l’interlocuteur choisi,
son partenaire de pensée, son compagnon de dialectique, d’autant
plus essentiel qu’il ne partage pas ses points de vue esthétiques. Ainsi,
oppose-t-il à l’écrivain à la recherche d’une langue inconnue, écho de la
« patrie perdue » de l’artiste original, son classicisme d’invention, où il
s’agit fondamentalement pour le poète de trouver sa manière dans une
langue connue et prééminente. Hahn est cependant conscient de l’acuité
exceptionnelle de Proust et après la parution de Du côté de chez Swann
prend pleinement conscience de son génie. Même s’il a pu ressentir de la
jalousie devant la soudaineté et l’ampleur du succès de son ami à la suite
du prix Goncourt de 1919, alors que lui-même avait le sentiment, au
sortir de la Grande Guerre, d’être relégué dans le monde fané de la Belle
Époque, il a su la dépasser. « Je vous aime avec une tendresse profonde
et fidèle », écrit-il à Marcel Proust en janvier 1921, qui, au mois de
mai suivant, dans l’envoi de l’exemplaire du deuxième tome du Côté de
Guermantes qu’il adresse à Reynaldo Hahn, le nomme « ce que j’aime le
plus au monde ».
Philippe Blay
Musicologue, conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France,
Philippe Blay consacre ses recherches à Reynaldo Hahn et au théâtre
lyrique en France sous la Troisième République.