Page 16 - La Pendule
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Dans une note vraisemblablement antérieure à 1900 , Proust évoquait
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ces réceptions, manifestant plus de sympathie pour la comtesse Aimery que
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pour son mari, excessivement attaché à « l’héraldisme » et dont l’orgueil
était bien connu en son temps. Dans ces pages de jeunesse, Proust louait
les qualités du portrait de la mère de Gabriel par Chaplin, tableau qu’il
jugea plus tard trop académique, trop posé, trop artificiel comme on peut
le lire dans Le Temps retrouvé : « La poésie d’un élégant foyer et de belles
toilettes de notre temps ne se trouvera-t-elle pas plutôt pour la postérité
dans le salon de l’éditeur Charpentier par Renoir que dans le portrait de
la princesse de Sagan ou de la comtesse de La Rochefoucauld par Cot
ou Chaplin ? Les artistes qui nous ont donné les plus grandes visions
d’élégance en ont recueilli les éléments chez des gens qui étaient rarement
les grands élégants de leur époque, lesquels se font rarement peindre
par l’inconnu porteur d’une beauté qu’ils ne peuvent pas distinguer sur
ses toiles, dissimulée qu’elle est par l’interposition d’un poncif de grâce
surannée qui flotte dans l’œil du public comme ces visions subjectives que
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le malade croit effectivement posées devant lui . »
Ainsi, des liens d’amitié s’établirent assez vite, vers 1900, entre Proust et
Gabriel. Tous les deux écrivaient dans Le Figaro ; Proust, sous le pseudonyme
d’Horatio, le cita même dans un article du 13 mai 1904. Après avoir décrit
Gabriel portant « au front, comme deux pierres précieuses héréditaires, les
clairs yeux de sa mère », il en vantait le talent, reprenant à cette fin la parole
élogieuse d’un critique, « car ce n’est pas l’habitude que nos collaborateurs
se louent les uns les autres ».
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Débutant dans la carrière des lettres, Gabriel attachait un grand prix
à l’avis de Proust, auquel il adressa le manuscrit de son premier roman,
L’Amant et le Médecin, histoire d’un homme jaloux de celui qui soigne
3 Marcel Proust, [Le salon de la comtesse Aimery de La Rochefoucauld], Essais et articles dans
Contre Sainte-Beuve et autres écrits, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971,
p. 436-439.
4 Op. cit., p. 437.
5 Marcel Proust, Le Temps retrouvé dans À la recherche du temps perdu, IV, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 300.
6 Marcel Proust, « Le salon de la comtesse Potocka », Essais et articles dans Contre Sainte-Beuve
et autres écrits, op. cit., p. 492.
18 Une pendule offerte par Marcel Proust