Page 5 - Brochure Reynaldo Hahn
P. 5
5
Un château dans la Marne
Plusieurs semaines après la soirée Lemaire, le mercredi 18 juillet 1894,
Proust prend l’initiative de demander un rendez-vous à Hahn – qui a des
cousins en Angleterre – sous le prétexte d’avoir des informations sur les
concerts récents du pianiste Léon Delafosse à Londres. Un interprète qui
l’attire par la grâce de sa physionomie, futur modèle du violoniste Morel
de la Recherche, mais que Montesquiou, à la manière du personnage à
venir de Charlus, protège jalousement. Nous ne savons pas s’il y eut
une première rencontre entre les deux jeunes gens avant le lundi 6 août
suivant, mais à cette date Reynaldo Hahn note dans son journal qu’il
a reçu « la visite de Marcel Proust à qui [il a] joué D’une prison ». Ses
impressions sont élogieuses : « Il a parfaitement remarqué tout ce qui en
valait la peine. Ma musique n’est faite, ni pour les musiciens, ni pour les
incultes. N’est-ce pas, hélas, trop souvent la même chose ? »
L’étape suivante qui nous est connue est celle du séjour commun au
château de Réveillon, en Champagne, résidence d’été, quand elle ne
se trouve pas à Dieppe, de Madeleine Lemaire, figure dominante de
la « patronne » proustienne ; elle n’aura de cesse de faciliter la relation
amoureuse entre Hahn et Proust, avec lesquels elle va constituer, en
compagnie de sa fille Suzette, un quatuor quasi familial et complice.
Arrivé le 20 août 1894, Reynaldo Hahn est le jour même témoin d’un
comportement singulier chez l’apprenti écrivain, sur place depuis le 18,
l’un de « ces moments mystérieux où il communiait totalement avec
la nature, avec l’art, avec la vie ». Lors d’une promenade, ce dernier
souhaite rester seul devant « une bordure de rosiers du Bengale », Hahn
comprenant intuitivement son aspiration au ravissement : « Ayant fait
le tour du château, je le retrouvai à la même place, regardant fixement
les roses. La tête penchée, le visage grave, il clignait des yeux, les sourcils
légèrement froncés comme par un effort d’attention passionnée, et de sa
main gauche il poussait obstinément entre ses lèvres le bout de sa petite
moustache noire, qu’il mordillait. » (« Promenade »).
Pendant cette villégiature où se noue leur liaison, le musicien travaille