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Hommage à Robert Kahn
Nous avons appris avec tristesse le décès de Robert Kahn, ancien maître de conférences à l'Université de Rouen, connu notamment pour ses traductions de Franz Kafka.
Robert Kahn était également un proustien éminent, depuis la thèse qu'il avait soutenue à l'Université Paris III sous le titre "Temps du langage, temps de l’Histoire : Marcel Proust et Walter Benjamin".
Vous trouverez sur le site de l'Université de Rouen le détail de ses différentes publications. En 1997, il avait écrit pour le Bulletin de notre société un article intitulé "De Combray à Berlin, Marcel Proust et Walter Benjamin", article disponible sur le site Gallica. Par ailleurs, en cliquant sur ce lien vous accéderez au dernier article qu'il avait rédigé pour le Bulletin d'informations proustiennes, paru en 2014 sous le titre "Un « Sonderweg » vers Proust : le cas de Hans-Robert Jauss".
La Société des Amis de Marcel Proust et des Amis de Combray présente ses sincères condoléances à la famille et aux proches de Robert Kahn.
#UneCitationDeProustParJourDeConfinement
Pendant toute la durée des deux confinements liés à l'épidémie de Covid-19, la société des amis de Marcel Proust a publié, sur Twitter, Facebook et Instagram, une citation de Proust par jour. Retrouvez ci-dessous l'intégralité de ces citations, par ordre chronologique décroissant :
#UneCitationDeProustParJourDeConfinement
14 décembre 2020
J'éprouvais un sentiment de fatigue et d'effroi à sentir que tout ce temps si long non seulement avait, sans une interruption, été vécu, pensé, sécrété par moi, qu'il était ma vie, qu'il était moi-même, mais encore que j'avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu'il me supportait, moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer comme je le pouvais avec lui.
(Le Temps retrouvé)
13 décembre 2020
Comme mon père parlait toujours du côté de Méséglise comme de la plus belle vue de la plaine qu’il connût et du côté de Guermantes comme du type de paysage de rivière, je leur donnais, en les concevant ainsi comme deux entités, cette cohésion, cette unité qui n’appartiennent qu’aux créations de notre esprit ; la moindre parcelle de chacun d’eux me semblait précieuse et manifester leur excellence particulière, tandis qu’à côté d’eux, avant qu’on fût arrivé sur le sol sacré de l’un ou de l’autre, les chemins purement matériels au milieu desquels ils étaient posés comme l’idéal de la vue de plaine et l’idéal du paysage de rivière, ne valaient pas plus la peine d’être regardés que par le spectateur épris d’art dramatique les petites rues qui avoisinent un théâtre.
(Du côté de chez Swann)
12 décembre 2020
Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m'avait déçu parce qu'au moment où je la percevais mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s'appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu'on ne puisse imaginer que ce qui est absent.
(Le Temps retrouvé)
11 décembre 2020
Depuis que Swann était si triste, ressentant toujours cette espèce de frisson qui précède le moment où l'on va pleurer, il avait le même besoin de parler du chagrin qu'un assassin a de parler de son crime.
(Du côté de chez Swann)
10 décembre 2020 - 101e anniversaire du Prix Goncourt décerné aux "Jeunes Filles en fleurs"
[Certaines] distractions possèdent le vrai secret de nous faire donner du plaisir, lequel est de n'y pas prétendre mais seulement de nous aider à passer le temps de notre ennui.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
9 décembre 2020
Tous les châteaux des terres dont elle était duchesse, princesse, vicomtesse, cette dame en fourrure bravant le mauvais temps me semblait les porter avec elle, comme les personnages sculptés au linteau d'un portail tiennent dans leur main la cathédrale qu'ils ont construite, ou la cité qu'ils ont défendue. Mais ces châteaux, ces forêts, les yeux de mon esprit seul pouvaient les voir dans la main gantée de la dame en fourrure, cousine du roi. Ceux de mon corps n'y distinguaient, les jours où le temps menaçait, qu'un parapluie dont la duchesse ne craignait pas de s'armer.
(La Prisonnière)
8 décembre 2020
C’est peut-être un effet de ma solitude de ressentir plus profondément les rares influences précieuses, chères et bienfaisantes. « Un rayon de soleil, dit Emerson du solitaire, suffit à l’enivrer ».
(Lettre à Joseph Primoli, décembre 1908)
7 décembre 2020
Nous partirions de Paris par ce train de une heure vingt-deux que je m'étais plu trop longtemps à chercher dans l'indicateur des chemins de fer où il me donnait chaque fois l'émotion, presque la bienheureuse illusion du départ, pour ne pas me figurer que je le connaissais. Comme la détermination dans notre imagination des traits d'un bonheur tient plutôt à l'identité des désirs qu'il nous inspire qu'à la précision des renseignements que nous avons sur lui, je croyais connaître celui-là dans ses détails, et je ne doutais pas que j'éprouverais dans le wagon un plaisir spécial quand la journée commencerait à fraîchir.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
6 décembre 2020
Ma santé m’a habité à me passer de presque tout et à remplacer les êtres par leurs images et la vie par la pensée.
(Lettre à Albert Sorel, mai 1905)
5 décembre 2020
Si, dans mes visites à Elstir, j'avais demandé à sa peinture de me conduire à la compréhension et à l'amour de choses meilleures qu'elle-même, un dégel véritable, une authentique place de province, de vivantes femmes sur la plage (tout au plus lui eussé-je commandé le portrait des réalités que je n'avais pas su approfondir, comme un chemin d'aubépine, non pour qu'il me conservât leur beauté mais me la découvrît), maintenant au contraire, c'était l'originalité, la séduction de ces peintures qui excitaient mon désir, et ce que je voulais surtout voir, c'était d'autres tableaux d'Elstir.
(Le Côté de Guermantes)
4 décember 2020
Certes, en ce Balbec depuis si longtemps désiré, je n'avais pas trouvé l'église persane que je rêvais, ni les brouillards éternels. Le beau train d'1 h 35 lui-même n'avait pas répondu à ce que je m'en figurais. Mais, en échange de ce que l'imagination laisse attendre et que nous nous donnons inutilement tant de peine pour essayer de découvrir, la vie nous donne quelque chose que nous étions bien loin d'imaginer.
(Albertine disparue)
3 décembre
Il y avait des années que Bergotte ne sortait plus de chez lui. D'ailleurs, il n'avait jamais aimé le monde, ou l'avait aimé un seul jour, pour le mépriser comme tout le reste et de la même façon qui était la sienne, à savoir non de mépriser parce qu'on ne peut obtenir, mais aussitôt qu'on a obtenu.
(La Prisonnière)
2 décembre
Le langage de l’amant malheureux, du partisan politique, des parents raisonnables, semble, à ceux qui le tiennent, porter avec soi une irrésistible évidence. On ne voit pas pourtant qu’il persuade ceux auxquels il s’adresse : une vérité ne s’impose pas du dehors à des esprits qu’elle doit préalablement rendre semblables à celui où elle est née.
(Lettre à Emile Henriot, 2 décembre 1920 - ce que Proust écrivait il y a 100 ans)
1er décembre
Je pensais aux images qui m'avaient décidé de retourner à Balbec. Elles étaient bien différentes de celles d'autrefois, la vision que je venais chercher était aussi éclatante que la première était brumeuse ; elles ne devaient pas moins me décevoir. Les images choisies par le souvenir sont aussi arbitraires, aussi étroites, aussi insaisissables que celles que l'imagination avait formées et la réalité détruites. Il n'y a pas de raison pour qu'en dehors de nous, un lieu réel possède plutôt les tableaux de la mémoire que ceux du rêve.
(Sodome et Gomorrhe)
30 novembre
Je consacrais souvent à imaginer la promenade d'Albertine les forces que je n'employais pas à la faire, et parlais à mon amie avec cette ardeur que gardent intacte les projets inexécutés. J'exprimais une telle envie d'aller revoir tel vitrail de la Sainte-Chapelle, un tel regret de ne pas pouvoir le faire avec elle seule, que tendrement elle me disait : « Mais, mon petit, puisque cela a l'air de vous plaire tant, faites un petit effort, venez avec nous. Nous attendrons aussi tard que vous voudrez, jusqu'à ce que vous soyez prêt. D'ailleurs, si cela vous amuse plus d'être seul avec moi, je n'ai qu'à réexpédier Andrée chez elle, elle viendra une autre fois. » Mais ces prières mêmes de sortir ajoutaient au calme qui me permettait de rester à la maison.
(La Prisonnière)
29 novembre
C’est le privilège de ceux qui vivent toujours seuls, de se faire dans leur cerveau des substituts des personnes réelles et de pouvoir aimer sans jamais voir.
(Lettre à Robert de Billy, avril 1908)
28 novembre
La persistance en moi d'une velléité ancienne de travailler, de réparer le temps perdu, de changer de vie, ou plutôt de commencer à vivre, me donnait l'illusion que j'étais toujours aussi jeune ; pourtant le souvenir de tous les événements qui s'étaient succédé dans ma vie – et aussi ceux qui s'étaient succédé dans mon cœur, car, quand on a beaucoup changé, on est induit à supposer qu'on a plus longtemps vécu – au cours de ces derniers mois de l'existence d'Albertine, me les avait fait paraître beaucoup plus longs qu'une année.
(Albertine disparue)
27 novembre
C’est un effet de l’amour que les poètes éveillent en nous de nous faire attacher une importance littérale à des choses qui ne sont pour eux que significatives d’émotions personnelles. Or, en réalité, ce sont de simples hasards de relations ou de parenté, qui, en leur donnant l’occasion de passer ou de séjourner auprès d’eux, leur ont fait choisir pour les peindre cette route, ce jardin, ce champ, ce coude de rivière, plutôt que tels autres. Ce qui nous les fait paraître autres et plus beaux que le reste du monde, c’est qu’ils portent sur eux comme un reflet insaisissable l’impression qu’ils ont donnée au génie.
(Sur la lecture)
26 novembre
Les pays que nous désirons tiennent à chaque moment beaucoup plus de place dans notre vie véritable que le pays où nous nous trouvons effectivement. Sans doute si alors j'avais fait moi-même plus attention à ce qu'il y avait dans ma pensée quand je prononçais les mots « aller à Florence, à Parme, à Pise, à Venise », je me serais rendu compte que ce que je voyais n'était nullement une ville, mais quelque chose d'aussi différent de tout ce que je connaissais, d'aussi délicieux, que pourrait être pour une humanité dont la vie se serait toujours écoulée dans des fins d'après-midi d'hiver, cette merveille inconnue : une matinée de printemps.
(Du côté de chez Swann)
25 novembre
Depuis tant d’années je suis sevré de toute humanité qu’il faut me faire aux privations. « Vous avez construit autour de vous une vraie forteresse et ne m’abaissez jamais le pont levis », m’écrivait l’autre jour le duc de Luynes.
(Lettre à Emile Henriot, avril 1922)
24 novembre
Je vous envie Nonelef [Bertrand de Fénelon] et vous. J’envie chacun de vous de voir l’autre, tandis que je vais changer de côté dans mon lit, pour toutes distractions. Mais que de lieues je fais dans mon esprit et dans mon cœur pendant ce repos apparent !
(Lettre à Antoine Bibesco, juin 1902)
23 novembre
Je venais de renaître, l'existence était intacte devant moi, car dans la matinée, après une série de jours doux, il avait fait un brouillard froid qui ne s'était levé que vers midi. Or, un changement de temps suffit à recréer le monde et nous-mêmes, […] en adaptant au mode nouveau des choses nos désirs harmonisés. La brume, dès le réveil, avait fait de moi, au lieu de l'être centrifuge qu'on est par les beaux jours, un homme replié, désireux du coin du feu et du lit partagé, Adam frileux en quête d'une Ève sédentaire, dans ce monde différent.
(Le Côté de Guermantes)
22 novembre
La pratique de la solitude lui en avait donné l'amour comme il arrive pour toute grande chose que nous avons crainte d'abord, parce que nous la savions incompatible avec de plus petites auxquelles nous tenions et dont elle nous prive moins qu'elle ne nous détache. Avant de la connaître, toute notre préoccupation est de savoir dans quelle mesure nous pourrons la concilier avec certains plaisirs qui cessent d'en être dès que nous l'avons connue.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
21 novembre
Pensez que je vis dans une telle souffrance que je ne peux plus recevoir une visite malgré la fidélité que des amies que je n’ai pas revues depuis vingt ans m’ont gardée, que je n’écris jamais de lettres (vous êtes une des rares exceptions), et au risque de voir se changer la louange de la veille en éreintement du lendemain, ne réponds à aucun journaliste, n’ai pas la force les trois quarts du temps de me soulever pour signer un papier d’affaires ou un chèque, et comparez avec votre belle, et brillante santé et tout ce que j’en ferais, si j’étais bien portant comme vous.
(Lettre à Sydney Schiff, octobre 1921)
20 novembre
Quand j’étais fatigué de ma lecture, quelque temps qu’il fît, je sortais ; mon corps resté immobile pendant les heures de lecture où le mouvement de mes idées l’agitait sur place en quelque sorte, était comme une toupie qui soudain lâchée a besoin de dépenser dans tous les sens la vitesse accumulée.
(Du côté de chez Swann, esquisse)
19 novembre
Sans doute [pour écrire mon livre] devrais-je vivre encore plus solitaire et tous ces gens, qui se plaignent de ne m’avoir pas vu depuis si longtemps, ne serait-ce pas eux qui auraient tort, puisque c’était pour m’occuper d’eux plus à fond que je ne les recevrais plus ? Je leur parlerais plus d’eux-mêmes en écrivant qu’en étant avec eux.
(Le Temps retrouvé, esquisse)
18 novembre - 98e anniversaire de la mort de Marcel Proust
Nous désirons passionnément qu'il y ait une autre vie où nous serions pareils à ce que nous sommes ici-bas. Mais nous ne réfléchissons pas que, même sans attendre cette autre vie, dans celle-ci, au bout de quelques années nous sommes infidèles à ce que nous avons été, à ce que nous voulions rester immortellement. Même sans supposer que la mort nous modifiât plus que ces changements qui se produisent au cours de la vie, si dans cette autre vie nous rencontrions le moi que nous avons été, nous nous détournerions de nous comme de ces personnes avec qui on a été lié mais qu'on n'a pas vues depuis longtemps.
(Sodome et Gomorrhe)
17 novembre
Je songeais à la prescription de M. de Gurcy de ne plus aller dans le monde, de ne plus perdre mon temps aux conversations inférieures qu’on y tient, de me réaliser en moi dans la solitude. Ce conseil se rapportait si bien à ce que ma conscience me disait chaque jour quand je rentrais de soirée, ayant perdu sans plaisir des heures où j’aurais été si heureux en lisant, en pensant, en travaillant, que je le remplissais d’un sens qu’il n’y mettait même peut-être pas et qu’il prenait par là plus de force encore pour moi.
(Sodome et Gomorrhe, esquisse)
16 novembre
A défaut de la vie extérieure, des incidents aussi sont amenés par la vie intérieure ; à défaut des promenades d'Albertine, les hasards rencontrés dans les réflexions que je faisais seul me fournissaient parfois de ces petits fragments de réel qui attirent à eux, à la façon d'un aimant, un peu d'inconnu qui, dès lors, devient douloureux. On a beau vivre sous l'équivalent d'une cloche pneumatique, les associations d'idées, les souvenirs continuent à jouer.
(La Prisonnière)
15 novembre
Oui, le voyage est décevant pour tous ceux qui mériteraient par la force de leur désir d’en connaître la joie, parce que la vue de la réalité ne peut nous donner ce qu’a convoité l’imagination.
(Du côté de chez Swann, esquisse)
14 novembre
Sans en être, hélas! beaucoup plus avancé, j’aime à imaginer près [de moi] les gens que j’aimerais voir, que je ne vois jamais et à qui je pense si souvent.
(Lettre à Mme Scheikévitch, octobre 1916)
13 novembre
Il arrive souvent que le plaisir qu'ont tous les hommes à revoir les souvenirs que leur mémoire a collectionnés est plus vif chez ceux que la tyrannie du mal physique et l'espoir quotidien de sa guérison privent, d'une part, d'aller chercher dans la nature des tableaux qui ressemblent à ces souvenirs et, d'autre part, laissent assez confiants qu'ils le pourront bientôt faire, pour rester vis-à-vis d'eux en état de désir, d'appétit et ne pas les considérer seulement comme des souvenirs, comme des tableaux.
(La Prisonnière)
12 novembre
De la pure solitude, l’esprit paresseux ne pourrait rien tirer, puisqu’il est incapable de mettre de lui-même en branle son activité créatrice. Mais la conversation la plus élevée, les conseils les plus pressants ne lui serviraient non plus à rien, puisque cette activité originale ils ne peuvent la produire directement. Ce qu’il faut donc, c’est une intervention qui, tout en venant d’un autre, se produise au fond de nous-mêmes, c’est bien l’impulsion d’un autre esprit, mais reçue au sein de la solitude. Or c’est précisément là la définition de la lecture.
(Sur la lecture)
11 novembre
Je pleure la mort de tout le monde, même des gens que je n’ai jamais vus. C’est un sens que nous a ajouté la guerre, par l’exercice effroyable de l’angoisse quotidienne, celui qui fait souffrir pour des inconnus.
(Lettre à Mme Soutzo, octobre 1917)
10 novembre
Les divers endroits de la terre sont des êtres aussi, dont la personnalité est si forte que quelques-uns meurent d’en être séparés, si particulière en tous cas que beaucoup recherchent tous les ans l’agrément de leur société et gardent dans l’absence le souvenir de leur charme.
(Jean Santeuil)
9 novembre
Dans une circonstance où quelqu'un qui m'était indifférent, pour qui j'avais toujours feint de l'affection ou du respect, ne risquait qu'un désagrément tandis que je courais un danger, je n'aurais pas pu faire autrement que de le plaindre de son ennui comme d'une chose considérable et de traiter mon danger comme un rien, parce qu'il me semblait que c'était avec ces proportions que les choses devaient lui apparaître.
(A l'ombre des jeunes filles en fleurs)
8 novembre
Dans l'appréciation du temps écoulé, il n'y a que le premier pas qui coûte. On éprouve d'abord beaucoup de peine à se figurer que tant de temps ait passé et ensuite qu'il n'en ait pas passé davantage.
(Le Temps retrouvé)
7 novembre
Ma tante avait comme toute créature ses heures d’exception, ses heures d’aspiration à quelque changement inouï, ces heures où nous voulons du nouveau au prix de n’importe quoi, et où n’étant pas capables de tirer de nous-mêmes le principe de ce changement, soit manque d’imagination, soit manque de volonté, nous souhaiterions qu’il nous fût imposé par la force, même hostile, des circonstances. Nous voudrions que la minute qui va venir nous apportât l’émotion d’un événement fût-il malheureux, et la destinée nous comblerait si, répondant par là à notre désir d’une péripétie dramatique au centre d’une existence monotone, il changeait en quelque sorte malgré nous le cadre de cette destinée.
(Du Côté de chez Swann, esquisse)
6 novembre
Ayant vécu dès l’âge de quinze ans au milieu des Mmes de Guermantes, j’ai la force de braver aux yeux de ceux qui l’ignorent l’opinion que je suis snob, non par le dehors et ironiquement comme ferait un romancier snob, mais par le dedans en m’efforçant de me faire l’âme de quelqu’un qui aimerait connaître une duchesse de Guermantes.
Lettre à Jacques Boulenger, 6 novembre 1920
5 novembre
Les signes inverses à l'aide desquels nous exprimons nos sentiments par leur contraire sont d'une lecture si claire qu'on se demande comment il y a encore des gens qui disent par exemple : « J'ai tant d'invitations que je ne sais où donner de la tête » pour dissimuler qu'ils ne sont pas invités.
(Sodome et Gomorrhe)
4 novembre
Je comprenais maintenant ce que c'était la vieillesse – la vieillesse qui de toutes les réalités est peut-être celle dont nous gardons le plus longtemps dans la vie une notion purement abstraite, regardant les calendriers, datant nos lettres, voyant se marier nos amis, les enfants de nos amis, sans comprendre, soit par peur, soit par paresse, ce que cela signifie, jusqu'au jour où nous apercevons une silhouette inconnue qui nous apprend que nous vivons dans un nouveau monde ; jusqu'au jour où le petit-fils d'une de nos amies, jeune homme qu'instinctivement nous traiterions en camarade, sourit comme si nous nous moquions de lui, nous qui lui sommes apparu comme un grand-père.
(Le Temps retrouvé)
3 novembre
Une Américaine qui m’assure qu’elle est très belle et a vingt-sept ans m’écrit que depuis trois ans elle ne fait que lire jour et nuit mes livres. Et je ne le répéterais pas (car je ne redis jamais ces sortes de choses), sans la conclusion qui, si elle ne la rabaisse pas, m’humilie : « Et après trois ans de lecture ininterrompue, ma conclusion est celle-ci : je n’y comprends rien, mais absolument rien. Cher Marcel Proust, ne faites pas le poseur, descendez pour une fois de votre empyrée. Dites-moi en deux lignes ce que vous avez voulu dire ». Comme en deux mille elle ne l’a pas compris, ou que je n’ai pas su l’exprimer, j’ai jugé inutile de lui répondre. Et elle me trouvera poseur.
(Lettre à Walter Berry, décembre 1921)
2 novembre
Sans doute j’avais été depuis longtemps, par la puissance qu’exerçait mon imagination, préparé à croire vrai ce que je craignais au lieu de ce que j’aurais souhaité.
(Sodome et Gomorrhe)
1er novembre
Les premiers matins du mois de novembre, à Paris, dans les maisons, la proximité et la privation du spectacle de l'automne qui s'achève si vite sans qu'on y assiste donnent une nostalgie, une véritable fièvre des feuilles mortes qui peut aller jusqu'à empêcher de dormir.
(Du côté de chez Swann)
31 octobre
Si, au moins, j'avais pu commencer à écrire ! Mais, quelles que fussent les conditions dans lesquelles j'abordasse ce projet (de même, hélas ! que celui de ne plus prendre d'alcool, de me coucher de bonne heure, de dormir, de me bien porter), que ce fût avec emportement, avec méthode, avec plaisir, en me privant d'une promenade, en l'ajournant et en la réservant comme récompense, en profitant d'une heure de bonne santé, en utilisant l'inaction forcée d'un jour de maladie, ce qui finissait toujours par sortir de mes efforts, c'était une page blanche, vierge de toute écriture, inéluctable comme cette carte forcée que dans certains tours on finit fatalement par tirer, de quelque façon qu'on eût préalablement brouillé le jeu.
(Le Côté de Guermantes)
30 octobre
On ne profite d'aucune leçon parce qu'on ne sait pas descendre jusqu'au général et qu'on se figure toujours se trouver en présence d'une expérience qui n'a pas de précédents dans le passé.
(Le côté de Guermantes)
10 mai
Un écrivain que nous adorons devient pour nous comme une sorte d’oracle que nous aimerions à consulter sur toute chose.
(Jean Santeuil)
[dernier jour, conclusion de la série]
9 mai
D’autres que moi, et je m’en réjouis, ont la jouissance de l’univers. Je n’ai plus ni le mouvement, ni la parole, ni la pensée, ni le simple bien être de ne plus souffrir. Aussi, expulsé pour ainsi dire de moi-même, je me réfugie dans les tomes que je palpe à défaut de les lire et j’ai à leur égard les précautions de la guêpe fouisseuse. Recroquevillé comme elle et privé de tout, je ne m’occupe plus que leur fournir à travers le monde des esprits l’expansion qui m’est refusée.
(Lettre à Gaston Gallimard, octobre 1922)
8 mai
Chacun annonce que la guerre a transformé les esprits, mais l’annonce dans un style qui montre trop qu’elle n’a rien transformé du tout, où les mêmes sottises, les mêmes banalités reviennent, soit pires encore, soit semblant telles par leur confrontation aux grandes choses qu’elles s’imaginent exprimer.
(Lettre à Daniel Halévy, 16 novembre 1914)
7 mai
Viollet-le-Duc disait que l’hôpital de Beaune était si beau qu’il donnait envie de tomber malade. On voit bien qu’il ne savait pas ce que c’est que de l’être.
(Lettre à Marie Nordlinger, octobre 1903)
6 mai
Je sentais bien que la déception du voyage, la déception de l'amour n'étaient pas des déceptions différentes, mais l'aspect varié que prend, selon le fait auquel il s'applique, l'impuissance que nous avons à nous réaliser dans la jouissance matérielle, dans l'action effective.
(Le Temps retrouvé)
5 mai
Si mes parents m'avaient permis, quand je lisais un livre, d'aller visiter la région qu'il décrivait, j'aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité. Car si on a la sensation d'être toujours entouré de son âme, ce n'est pas comme d'une prison immobile ; plutôt, on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan pour la dépasser, pour atteindre à l'extérieur, avec une sorte de découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité identique, qui n'est pas écho du dehors mais retentissement d'une vibration interne.
(Du côté de chez Swann)
4 mai
J’étais de ceux qui ne trouvent du plaisir que dans l’imagination, et dans ce qu’elle leur représente comme la réalité, ont besoin pour se plaire à quelque chose de le rattacher à quelque réalité esthétique. La lecture de nouvelles purement mondaines de Balzac comme Les Secrets de la princesse de Cadignan donnait du charme pour moi à la vie mondaine de la Restauration qui sans cela n’en aurait eu aucun, le lecture du Rouge et le Noir ou de La Chartreuse de Parme au Paris de 1830 ou au Milan de 1815 qui d’eux-mêmes sans cela eussent pu être ce qui m’intéresse le moins, la peinture par Stendhal d’une vie où on ne se plait qu’aux ballets me faisait prendre plaisir à des spectacles que je n’eusse pas aimés seuls.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs, esquisse)
3 mai
Ma vie solitaire m’a permis de recréer par la pensée ceux que j’aimais et j’ai toujours près de moi un cher Antoine comme aux jours où il a été si bon pour moi. Mais toi, depuis si longtemps te souviens-tu encore de moi ?
(Lettre à Antoine Bibesco, novembre 1909)
2 mai
Depuis que je suis à Cabourg, je peux me lever et sortir tous les jours, ce qui ne m’était pas arrivé depuis six ans. Et j’ai si peur que l’enchantement ne cesse si je me déplace que je retarde chaque jour le départ pour la Bretagne, pensant que maman n’aurait pas voulu me voir bouger d’un endroit où je vis, relativement, d’une façon supportable. Mais aussi cela me fait un chagrin que maman ne m’ait pas vu ainsi. Cela me fend le cœur de me réveiller ayant un peu dormi et qu’elle ne le sache pas, de rentrer d’une promenade sans avoir les crises jusque là inévitables qui la désolaient. Cette souffrance morale n’est pas la seule qui rend mon séjour cruel. J’étais plus heureux calme dans mon lit, que fiévreux de caféine sur les routes, ne voyant rien, ne pouvant aimer ce que je vois de plus beau.
(Lettre à Mme de Caraman-Chimay, août 1907)
1er mai
L'existence n'a guère d'intérêt que dans les journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
30 avril
Je n’aime pas être l’ami qui occupe ceux qui sont malades de ses propres manifestations, exige « des nouvelles », embête tout le monde et fait passer « son inquiétude » avant vos maux.
(Lettre à Robert de Billy, mai 1909)
29 avril
Les liens entre un être et nous n'existent que dans notre pensée. La mémoire en s'affaiblissant les relâche, et, malgré l'illusion dont nous voudrions être dupes et dont, par amour, par amitié, par politesse, par respect humain, par devoir, nous dupons les autres, nous existons seuls. L'homme est l'être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu'en soi, et, en disant le contraire, ment.
(Albertine disparue)
28 avril
Dans les vies agrestes, solitaires, la rencontre d'un être humain qu'on n'a pas vu depuis longtemps, ou la présentation à quelqu'un qu'on ne connaît pas, cesse d'être cette chose fastidieuse qu'elle est dans la vie de Paris, et interrompt délicieusement l'espace vide des vies trop isolées, où l'heure même du courrier devient agréable.
(Sodome et Gomorrhe)
27 avril
Les coups terribles de souffrance que me donne la nature chaque fois que j’enfreins les règles de vie restreinte et presque végétative qu’elle me prescrit sont si cruels et si prolongés que cela rend plus facile l’observance d’une règle même austère et fait trouver une douceur négative dans le repos forcé.
(Lettre à Jacques-Emile Blanche, octobre 1918)
26 avril
Nous nous représentons l'avenir comme un reflet du présent projeté dans un espace vide, tandis qu'il est le résultat souvent tout prochain de causes qui nous échappent pour la plupart.
(La Prisonnière)
25 avril
Ma tante devait parfaitement savoir qu’elle ne reverrait pas Swann, qu’elle ne quitterait plus jamais la maison, mais cette réclusion définitive devait lui être rendue assez aisée pour la raison même qui selon nous aurait dû la lui rendre plus douloureuse : c’est que cette réclusion lui était imposée par la diminution qu’elle pouvait constater chaque jour dans ses forces, et qui, en faisant de chaque action, de chaque mouvement, une fatigue, sinon une souffrance, donnait pour elle à l’inaction, à l’isolement, au silence, la douceur réparatrice et bénie du repos.
(Du côté de chez Swann)
24 avril
J’échange bien volontiers avec vous adresse et numéro de téléphone (102 boulevard Haussmann - 292 05). Mais hélas, ce sont des clefs qui ne vont plus aux serrures que je vous donne là et elles ne vous aideront pas à me voir. Depuis plusieurs années je ne vois plus personne, excepté à Cabourg où l’air m’aide à me lever un peu. A Paris, je me lève à peine une fois tous les quinze jours et ne vois qui que ce soit.
(Lettre à Paul Soufflot, septembre 1909)
23 avril
Il semble que nous puissions à notre choix livrer notre vie à l’une ou l’autre de deux forces, à l’un ou l’autre de deux courants, l’un qui vient de nous-mêmes, de nos impressions profondes, l’autre qui nous vient du dehors. Le premier porte naturellement avec lui le plaisir (d’où la joie des créateurs, cette joie que j’avais eue sur la route de Guermantes en cherchant à comprendre l’impression éveillée en moi par les deux clochers). Le second n’est pas accompagné de plaisir ; nous y en ajoutons à la réflexion, mais qui est factice, d’où chez les mondains un incurable ennui.
(Le Côté de Guermantes, esquisse)
22 avril
Comment saurais-je que, tandis que toute ma vie passée à entretenir tant d’amitiés et de plaisirs, qui me semble offrir perpétuellement tant d’idées justes, de remarques générales, de faits permanents, ne m’inciterait qu’à écrire des pages banales, comment saurais-je que sur le sable de telle plage de Belgique, vue une seule fois pendant une heure, gît une vérité précieuse, si un bon vent ne m’y conduisait, par les seules voies qui y mènent, celles de l’imagination ?
(Jean Santeuil)
21 avril
Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d'une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de vérité. Nous ne sommes pas comme des bâtiments à qui on peut ajouter des pierres du dehors, mais comme des arbres qui tirent de leur propre sève le nœud suivant de leur tige, l'étage supérieur de leur frondaison.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
20 avril
Balzac qui passe pour un grand peintre de la société la peignit de sa chambre, mais la génération suivante, éprise de ses livres, se peupla brusquement de Rastignac, de Rubempré qu’il avait inventé, mais qui existèrent.
(Lettre à Lionel Hauser, 20 avril 1920)
19 avril
Depuis des années, je ne lis que des guides Joanne, des géographies, des annuaires de château, tout ce qui me permet de combiner des voyages, de rechercher des villes et… de ne pas partir.
(Lettre à Madame de Caraman-Chimay, juillet 1907)
18 avril
Les événements transforment moins les pensées qu’on ne le croit, surtout les événements collectifs auxquels la pensée participe plutôt par imitation, par contagion de sentiments peu approfondis, peu personnels.
(Le Temps retrouvé, esquisse)
17 avril
On aime toujours un peu à sortir de soi, à voyager, quand on lit.
(Sur la lecture)
16 avril
Ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une cité désirée s’imaginent qu’on peut goûter dans une réalité le charme du songe.
(Du côté de chez Swann)
15 avril
Le fou qui croirait que les meubles vivent et causerait avec eux agit de même qu’un travailleur qui s’interrompt d’un chef-d’œuvre pour recevoir par politesse quelqu’un et ne répond pas comme Néhémie sur son échelle « non possum descendere, magnum opus facio », ce qui devrait être la devise de tout artiste à qui il est aussi absurde de reprocher de s’enfermer dans sa tour d’ivoire qu’aux abeilles dans leur ruche de cire ou aux chenilles dans leur cocon.
(Le Temps retrouvé, esquisse)
14 avril
Chez le solitaire la claustration même absolue et durant jusqu'à la fin de la vie a souvent pour principe un amour déréglé de la foule qui l'emporte tellement sur tout autre sentiment que, ne pouvant obtenir, quand il sort, l'admiration de la concierge, des passants, du cocher arrêté, il préfère n'être jamais vu d'eux, et pour cela renoncer à toute activité qui rendrait nécessaire de sortir.
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
13 avril
La pensée est une espèce de télescope qui nous permet de voir des spectacles éloignés et immenses.
(Jean Santeuil)
12 avril
Il attendait les mauvaises nouvelles comme des oeufs de Pâques, espérant que cela irait assez mal pour épouvanter Françoise, pas assez pour qu'il pût matériellement en souffrir.
(Le Temps retrouvé)
11 avril
Je suis cet étrange humain qui, en attendant que la mort le délivre, vit les volets clos, ne sait rien du monde, reste immobile comme un hibou et comme celui-ci, ne voit un peu clair que dans les ténèbres
(Sodome et Gomorrhe)
10 avril
Quand on a de l’imagination comme vous, on possède tous les paysages qu’on a aimés, et c’est l’inaliénable trésor du cœur.
(Lettre à Mme Williams, 1909)
9 avril
Avoir un corps, c'est la grande menace pour l'esprit, la vie humaine et pensante, dont il faut sans doute moins dire qu'elle est un miraculeux perfectionnement de la vie animale et physique, mais plutôt qu'elle est une imperfection, encore aussi rudimentaire qu'est l'existence commune des protozoaires en polypiers, que le corps de la baleine, etc., dans l'organisation de la vie spirituelle. Le corps enferme l'esprit dans une forteresse.
(Le Temps retrouvé)
8 avril
Depuis la mort de son mari, ma tante n’avait plus voulu quitter, d’abord Combray, puis à Combray sa maison, puis sa chambre, puis son lit et ne « descendait » plus, toujours couchée dans un état incertain de chagrin, de débilité physique, de maladie, d’idée fixe et de dévotion. […] Son lit longeait la fenêtre, elle avait la rue sous les yeux et y lisait du matin au soir, pour se désennuyer, à la façon des princes persans, la chronique quotidienne mais immémoriale de Combray, qu’elle commentait ensuite avec Françoise.
(Du côté de chez Swann)
7 avril
Depuis que j'en avais vu dans des aquarelles d'Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j'aimais comme quelque chose de poétique, le geste interrompu des couteaux encore de travers, la rondeur bombée d'une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune, le verre à demi vidé qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l'éclairage, l'altération des prunes qui passent du vert au bleu et du bleu à l'or dans le compotier déjà à demi dépouillé, la promenade des chaises vieillottes qui deux fois par jour viennent s'installer autour de la nappe, dressée sur la table ainsi que sur un autel où sont célébrées les fêtes de la gourmandise et sur laquelle au fond des huîtres quelques gouttes d'eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre ; j'essayais de trouver la beauté là où je ne m'étais jamais figuré qu'elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des « natures mortes ».
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
6 avril
Peut-être la grande sobriété de ma vie sans voyages, sans promenades, sans société, sans lumière, est-elle une circonstance contingente qui entretient chez moi la pérennité du désir.
(Lettre à Marthe Bibesco, avril 1912)
5 avril
Nous sommes des êtres qui n’allons vers le dehors qu’en partant du dedans de nous-mêmes et qui, quand nous allons vers le dehors, restons tout de même en nous. De là viennent nos désirs et nos déceptions. Nous habitons toujours dans notre pensée et nous ne voyons le dehors que du dedans, comme un homme qui ne pourrait voir la nature que de son salon, les fenêtres ouvertes.
(Du côté de chez Swann, esquisse)
4 avril
Moins regrettable me semblait l'état maladif qui allait me confiner dans une maison de santé, si les belles choses dont parlent les livres n'étaient pas plus belles que ce que j'avais vu.
(Le Temps retrouvé)
3 avril
Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver. Les pièces de Shakespeare sont plus belles, vues dans la chambre de travail, que représentées au théâtre. Les poètes qui ont créé les impérissables amoureuses n’ont souvent connu que de médiocres servantes d’auberges, tandis que les voluptueux les plus enviés ne savent point concevoir la vie qu’ils mènent, ou plutôt, qui les mène.
(Les Plaisirs et les Jours)
2 avril
"L’imagination tend tellement à l’expérience, elle a un tel besoin de connaître - comme chose réalisée, existante, tombant sous les sens, contiguë aux autres réalités - ce qu’elle a rêvé, qu’à défaut du voyage, elle veut lire des guides, des livres d’histoire, de géographie, qui fassent rentrer dans la réalité l’objet de ses rêves ou de son souvenir."
(Du côté de chez Swann, esquisse)
1er avril
"On a vu des observateurs du plus grand mérite s'élever contre la doctrine de la contagion et les conséquences pratiques que l'on prétendait en tirer. La suppression des quarantaines, l'abolition de toutes les entraves qui peuvent gêner le commerce, et la libre circulation des voyageurs et des marchandises : tels sont les résultats les plus immédiats de cette opinion nouvelle. On comprend dès lors la faveur dont elle a naturellement joui chez les peuples mercantiles ; et l'on n'a guère été surpris, dans la conférence sanitaire de Constantinople, de voir le représentant de l'Angleterre s'élever au nom de l'humanité contre des mesures destinées à restreindre la liberté des échanges
et gêner les transactions commerciales."
(Essai sur l'hygiène internationale) (d'Adrien Proust, petite facétie pour le 1er avril)
31 mars
« Ah ! Combray, quand est-ce que je te reverrai, pauvre terre ! Quand est-ce que je pourrai passer toute la sainte journée sous tes aubépines et nos pauvres lilas en écoutant les pinsons et la Vivonne qui fait comme le murmure de quelqu'un qui chuchoterait ! »
(Le Côté de Guermantes)
30 mars
"J’ai pensé à vous et formé, avec la vaine indiscrétion des amis et des philosophes, des vœux inutiles ; par exemple, que quelque événement vous isole et vous sèvre des plaisirs de l’esprit, laisse le temps en vous de renaître après un jeûne suffisant une faim véritable de ces beaux livres, de ces beaux tableaux, de ces beaux pays, que vous feuilletez aujourd’hui avec le manque d’appétit de quelqu’un qui a fait des visites de jour de l’an toute la journée où il n’a cessé de manger des marrons glacés."
(Lettre à Jean Cocteau, décembre 1910)
29 mars
"Il y a des moments où la pensée des Rembrandt, le désir de Rembrandt nous envahit. Nous avons faim de cette obscurité, nous voudrions voir cette lueur, nous nous représentons ces chairs dorées. Ceci ne nous arrive-t-il pas aussi pour les lieux ? Aujourd’hui, je voudrais voir toute une forêt : ces arbres jaunis que je désire, que je sens, je voudrais me promener sous eux, et que les choses viennent assouvir la faim de mon esprit."
(Jean Santeuil)
28 mars
"Mon cher Reynaldo, quel bonheur ce sera de se revoir quand ces jours affreux seront finis et si nous n’avons pas trop d’amis à pleurer. D’ailleurs, je pleure aussi bien les inconnus."
(Lettre à Reynaldo Hahn, 30 août 1914)
27 mars
"Comme il arrive chaque fois que les propos entendus, au sujet de quelqu'un que nous ne connaissons pas, ont eu la vertu d'éveiller en nous l'idée d'un grand talent, d'une sorte de génie, au fond de mon esprit je faisais bénéficier le docteur Du Boulbon de cette confiance sans limites que nous inspire celui qui d'un œil plus profond qu'un autre perçoit la vérité."
(Le Côté de Guermantes)
26 mars
"La vue de certains tableaux de Chardin nous apprend ce qu’il y avait de réel et de beau dans une humble salle à manger. Du jour où nous l’avons vue au Louvre et où nous avons dégagé sa signification première, en vertu de cette fécondité incalculable des œuvres d’art, une telle peinture essaime chez nous, et innombrables sont les Chardin que nous présente tous les jours notre modeste salle à manger, où nous ne nous lassons pas de voir un commencement de rayon de soleil faire passer par des tons intermédiaires entre le terne et le brillant les plis de la nappe et le relief du couteau qui l’épouse."
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs, esquisse)
25 mars
"Les seules belles choses qu’un poète puisse trouver, c’est en lui. Donnez-lui un moment d’inspiration, c’est-à-dire faites qu’il entre en communication avec lui-même, et vous lui donnerez le bonheur. Mais donnez-lui des richesses, des honneurs, des plaisirs, vous ne lui donnerez rien, car vous le ferez d’autant plus sortir de lui."
(Jean Santeuil)
24 mars
"Elstir, obligé de rester enfermé dans son atelier, certains jours de printemps où savoir que les bois étaient pleins de violettes lui donnait une fringale d'en regarder, envoyait sa concierge lui en acheter un bouquet ; alors attendri, halluciné, ce n'est pas la table sur laquelle il avait posé le petit modèle végétal, mais tout le tapis des sous-bois où il avait vu autrefois, par milliers, les tiges serpentines, fléchissant sous leur bec bleu, qu'Elstir croyait avoir sous les yeux comme une zone imaginaire qu'enclavait dans son atelier la limpide odeur de la fleur évocatrice."
(La Prisonnière)
23 mars
"Pourquoi voyagez-vous si souvent ? Les carrosses de voiture vous emmènent bien lentement où votre rêve vous conduirait si vite. Pour être au bord de la mer, vous n’avez qu’à fermer les yeux. Laissez ceux qui n’ont que les yeux du corps déplacer toute leur suite et s’installer avec elle à Pouzzoles ou à Naples. Vous voulez, dites-vous, y terminer un livre ? Où travaillerez-vous mieux qu’à la ville ? Entre ses murs, vous pourrez faire passer les plus vastes décors qu’il vous plaira."
(Les Plaisirs et les Jours)
22 mars
"Le soldat est persuadé qu'un certain délai indéfiniment prolongeable lui sera accordé avant qu'il soit tué, le voleur, avant qu'il soit pris, les hommes en général avant qu'ils aient à mourir. C'est là l'amulette qui préserve les individus – et parfois les peuples – non du danger mais de la peur du danger, en réalité de la croyance au danger, ce qui dans certains cas permet de les braver sans qu'il soit besoin d'être brave."
(A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
21 mars
"Je peux de mon lit être visité par le ruisseau et les oiseaux de la Symphonie pastorale dont le pauvre Beethoven ne jouissait pas plus directement que moi puisqu’il était sourd. Il se consolait en tâchant de reproduire le chant des oiseaux qu’il n’entendait plus. A la distance du génie à l’absence de talent, ce sont aussi des symphonies pastorales que je fais à ma manière, en peignant ce que je ne peux plus voir !"
(Lettre à Mme Straus, mars 1913)
20 mars
"Là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue"
(Le Temps retrouvé)
19 mars
"Quand j'étais enfant,le sort d'aucun personnage de l'histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tint enfermé dans l'arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours, je dus rester dans "l'arche". Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l'arche, malgré qu'elle fût close et qu'il fît nuit sur la terre."
(Les Plaisirs et les Jours, préface)
18 mars
"Les jours où on se trouve en dehors du train courant de la vie, les choses même les plus simples recommencent à nous donner des sensations dont l'habitude fait faire l'économie à notre système nerveux"
(Le Temps retrouvé)
Concours de pastiches proustiens 2020 : Annonce des finalistes
L'édition 2020 du Concours de pastiches proustiens organisé par la Société vient de se terminer : les textes devaient être remis avant le 31 mars minuit.
54 pastiches ont été reçus : 47 dans la catégorie amateurs, 5 dans la catégorie professionnels et deux dans la catégories scolaires.
5 pastiches ont été immédiatement disqualifiés, car ils ne respectaient pas la longueur maximale attendue ou la consigne d'introduire le nom Guermantes.
Les résultats seront proclamés le 16 mai, en attendant, vous pouvez retrouver sur notre site :
- les quinze pastiches "finalistes" (ayant obtenu au moins deux voix sur quatre) : https://www.amisdeproust.fr/images/DocsPdf/ConcoursPastichesProustiens2020Finalistes.pdf
- l'intégralité des pastiches reçus : amisdeproust.fr/images/DocsPdf/ConcoursPastichesProustiens2020.pdf.
Acquisition d'un dessin original de Madeleine Lemaire
La société des amis de Marcel Proust vient d'enrichir les collections de la Maison de Tante Léonie - Musée Marcel Proust grâce à l'acquisition d'un dessin de Madeleine Lemaire reproduit dans Les plaisirs et les jours.
Voici la description de ce dessin sur le site de la galerie Johann Naldi :
Dessin original à l'encre, signé
XXVI Sous-Bois, tête de chapitre, p. 231(branche de marronniers) 19,5 x 15,5 cm (à vue).
Provenance:
Vente Hôtel Drouot (Georges Petit expert), Aquarelles, dessins, gouaches & sanguines par Madeleine Lemaire, 29 avril 1897, n° 82 («Marronniers, houx, chandelle, fougère, trèfle. Cinq dessins à la plume»).
Notice de Jean-David Jumeau-Lafond, historien de l'Art :
Ces dessins appartiennent à un corpus de compositions réalisées par Madeleine Lemaire à la demande de Marcel Proust pour illustrer son premier livre publié en 1896 chez Calmann-Lévy sous le titre Les Plaisirs et les jours. Dans ce volume, le jeune auteur réunit des textes de diverses natures, nouvelles et poèmes en prose, publiés en 1892 et 1893 dans des revues telles que Le Banquet et la Revue blanche. Pour le futur génie d’À la Recherche du temps perdu, ces années 1890 sont celles de l’apprentissage et c’est essentiellement sous les auspices de Robert de Montesquiou, dont il est alors très proche et qu’il a justement rencontré chez Madeleine Lemaire, que Proust connaît ses premières expériences esthétiques et littéraires. C’est aussi avec l’aide du comte qu’il entre dans «le monde» et découvre l’aristocratie qui peuplera son Grand-œuvre, en particulier la comtesse Elisabeth Greffulhe, cousine de Montesquiou, la future «duchesse de Guermantes». Madeleine Lemaire appartient aussi à ce Paris mondain et artistique dont Proust saura s’inspirer; elle sera le modèle de Madame Verdurin, personnage emblématique d’une bourgeoisie quelque peu parvenue en quête d’ascension sociale. La «patronne» comme on l’appelle dans La Recherche parviendra d’ailleurs à ses fins en devenant princesse de Guermantes dans Le Temps retrouvé. Il n’est pas un hasard que Proust ait choisi de donner comme patronyme à cette figure essentielle de son cycle un nom fleurant bon la nature: Verdurin comme verdure, une référence double, donc, puisqu’elle rappelle la vocation de Madeleine Lemaire, peintre de fleurs, tout en ayant une légère connotation péjorative en suggérant les origines campagnardes du personnage. Montesquiou, Madeleine Lemaire, Reynaldo Hahn, dont plusieurs petites partitions sont intégrées à l’édition, et Anatole France pour la préface: le volume apparaît très caractéristique de l’esthétisme mondain qui fleurit, c’est le cas de le dire, dans ces années symbolistes de la fin de siècle. Jean Lorrain, à la prose pourtant elle-même si marquée par ces années de décadentisme, ne se prive pas d’assassiner alors Les Plaisirs et les jours sous son pseudonyme habituel de Raitif de la Bretonne, une première fois dans Le Journal du 1er juillet 1896 en y joignant Montesquiou, ces «jolis petits jeunes gens en mal de littérature», puis une seconde fois avec plus de détails, le 3 février 1897. Il mentionne ainsi «l’amateurisme» de l‘écrivain et ajoute: «ce délicat volume ne serait pas un exemple-type du genre s’il n’était illustré par Mme Madeleine Lemaire». C’est d’ailleurs dans cet article que Lorrain, avec son habituelle méchanceté, se gausse de la préface d’Anatole France et en suggère une prochaine par Alphonse Daudet «qui ne pourra la refuser, ni à Mme Lemaire, ni à son fils Lucien.» L’évocation entre les lignes de la liaison de Proust avec Lucien Daudet provoque alors le fameux duel au pistolet qui oppose Lorrain et Proust, sans résultat, le 6 février 1897.
On le voit, tout un univers entoure Les Plaisirs et les jours, volume particulièrement luxueux puisqu’il est alors vendu 17,50 francs, soit trois fois le prix d’un volume normal. Il ne s’agit pourtant pas d’un ouvrage illustré de haute bibliophilie malgré son tirage réduit et il faut souligner le rendu assez médiocre des illustrations de Madeleine Lemaire par l’imprimeur dont le travail ne rend pas justice à la délicatesse des encres originales. Plus que les pleines pages consacrées à des personnages ou des sujets complets, et dont le graphisme a véritablement vieilli, les dessins à la fois ornementaux et symboliques conçus par l’artiste gardent leur charme et témoignent de vraies qualités graphiques. Si les aquarelles ou les huiles de Madeleine Lemaire nous paraissent aujourd’hui bien suaves, les encres font preuve d’une belle sûreté de main et d’une précision botanique qui n’exclut pas l’interprétation poétique. Qu’il s’agisse du houx et de la fougère, traités avec une grande simplicité, des marronniers et des trèfles, plus complexes dans leur disposition, ou encore de l’aigrette de pissenlit (taraxacum officinale) dont l’effeuillement rappelle le beau dessin créé par Eugène Grasset pour la Librairie Larousse, l’artiste livre de belles pages équilibrées et sûres.
Si l’on en juge par les fragments d’inscriptions malheureusement en partie illisibles, Madeleine Lemaire participa à la maquette du livre. La décision finale appartint toutefois à l’éditeur. Il faut ainsi remarquer que les feuilles de houx, dessinées (et signées) verticalement sont finalement reproduites horizontalement avec un déplacement de la signature. Il n’est pas toujours aisé de lier le choix des images avec le contenu du texte. Y a-t-il vraiment un rapport entre les fleurs de trèfle qui servent d’en-tête au «Coucher de soleil intérieur» ou les belles aigrettes de pissenlit avec la «Sonate au clair de lune», toutefois baptisées «chandelle» par l’auteur parce qu’un souffle les disperse comme une flamme s’éteint? Rien n’est moins sûr. Ainsi les branches de marronniers illustrent-elles la tête de chapitre «Sous-bois», alors que c’est dans le chapitre suivant, intitulé «Les Marronniers» que Proust écrit: «J’aimais surtout à m’arrêter sous les marronniers immenses quand ils étaient jaunis par l’automne» (p. 233). Il semble plutôt que les en-têtes et culs-de-lampe floraux aient été disposés en fonction de raisons plastiques et décoratives. Ainsi, lorsque Jean Lorrain écrit narquoisement: «l’ingéniosité de Mme Lemaire ne s’est jamais adaptée si étroitement à un talent d’auteur», on ne peut qu’acquiescer, sans ironie cette fois-ci…
On sait que, lorsqu’il écrira et fera publier la Recherche, Marcel Proust essayera de faire oublier ses précédents livres et en particulier Les Plaisirs et les jours, peut-être trop marqués à ces yeux par le milieu et le contexte «fin de siècle». C’est pourtant dans ce terreau unique que le chef-d’œuvre de l’écrivain prend ses racines et l’on considère aujourd’hui l’œuvre de Proust comme faisant un tout indissociable, depuis Les Plaisirs et les jours et Jean Santeuil jusqu’à Contre Sainte-Beuve et La Recherche. Madeleine Lemaire appartient bien à cet univers, autant comme peintre et avec ces charmants dessins, que comme modèle de Madame Verdurin, et cette «impératrice des roses», ainsi que l’avait baptisée Robert de Montesquiou méritait bien l’hommage d’Anatole France, qui écrit dans sa préface à propos de Proust : «Heureux livre que le sien! Il ira par la ville tout orné, tout parfumé des fleurs dont Madeleine Lemaire l’a jonché de cette main divine qui répand les roses avec leur rosée.»
Jean-David Jumeau-Lafond
Lecture-spectacle d'après Proust à Argentan (Orne)
Jeudi 19 mars à 20h, à la Médiathèque d'Argentan (Orne), lecture-spectacle d'après Marcel Proust, avec le Cercle Vincent Muselli, Isabelle Guiard et Gérard Torikian. Plus d'informations sur ce site.
"Phénix", représentation théâtrale d'après Proust, au Catelier (Haute-Normandie)
Samedi 25 janvier à 20h, au théâtre Le Relais (76590 Le Catelier), la comédienne Séverine Batier donnera une représentation théâtrale inspirée de l'oeuvre de Marcel Proust et intitulée "Phénix".
Plus de renseignements sur ce site.
Interview des lauréats du concours de pastiches 2019
Plusieurs lauréats du Concours de pastiches proustiens 2019, ont accepté de répondre à quelques questions sur cette expérience. Rappelons que l'édition 2020 est ouverte jusqu'au 31 mars. Et que les textes de tous les finalistes sont disponibles ici ou là.
- Pourquoi avez-vous participé au concours de pastiches 2019 ?
Jean-Jacques Salomon (1er prix "professionnels") : Le hasard de ma vie professionnelle – mais peut-être devrais-je plutôt parler de nécessité comme me l’a un jour suggéré un psychanalyste –, le hasard ou la nécessité donc m’ayant amené à rédiger en son temps un petit livre sur la vie des secrétaires sous François Mitterrand, je me suis retrouvé, pour éviter le piège de la page blanche, à raconter le quotidien de ces femmes (car la profession comptait alors très peu d’hommes) à la façon de Proust, Balzac et Stendhal, avec un plaisir dont le souvenir, revenu aussitôt que j’ai appris le lancement du concours 2019, m’a semblé, comme un défi, me dire : « Tu arrives à marcher dix heures de suite, tu rentres toujours dans ton uniforme, mais es-tu encore capable de pasticher La Recherche ? ».
Nicolas Fréry (1er prix "amateurs") : Amateur de pastiches, j’ai appris avoir joie l’existence de ce concours, qui offrait une belle occasion de pasticher un des plus grands écrivains – et des plus grands pasticheurs – qui soient. Trop rarement mis à l’honneur, le pastiche est pourtant un incomparable exercice de critique littéraire : s’attache-on jamais autant qu’en pastichant (puis en amendant son pastiche et en en débattant avec d’autres lecteurs) à identifier ce qui fait la signature propre d’un écrivain, jusque dans des détails ténus et au-delà de l’image convenue qu’on peut en avoir ? Au terme de ce travail, intimidant (car la critique littéraire y frôle plus qu’ailleurs l’écriture personnelle) et particulièrement gratifiant, la voix d’un auteur résonne en nous de façon plus juste, plus familière et plus forte.
Maya Barreau (2e prix "professionnels") : J’ai eu connaissance de ce concours par « un enchaînement de circonstances » comme dirait Proust : on veut passer un week-end à Chartres et à Illiers-Combray et, en l’organisant, on tombe sur le site de la Société des Amis de Marcel Proust où le concours est proposé. Comme j’ai beaucoup lu La Recherche par le passé, quelque chose de sa musique, de ses motifs, m’imprégnait. Au moment où j’ai commencé à écrire mon pastiche, tout cela a émergé… avec un goût de madeleine.
Philippe Morel (2e prix "amateurs") : J'ai toujours aimé les pastiches, les lire mais aussi les écrire : entre l'hommage et l'ironie, ils permettent de saisir et de rendre l'essence d'un auteur. Presque une fonction pédagogique, au-delà de l'amusement qu'ils suscitent. Je me suis donc lancé quand j'ai eu connaissance du concours organisé par la SAMP. Pour moi c'était juste une plaisanterie de potache (notamment le calembour du titre, plus proche du Canard enchaîné que de la Recherche du temps perdu ! [Le pastiche écrit par M. Morel s'intitule : A l'ombre, les jeunes flics en pleurs]) et je ne me prenais guère au sérieux (moi, imiter Proust, vraiment ?) ; j'ai été heureux et surpris de recevoir un prix.
Gilles Lucas (3e prix "amateurs") : J'y ai participé parce que j'aime beaucoup écrire et que je pratique le pastiche depuis fort longtemps. Grâce à Marcel Proust notamment dont la lecture de Pastiches et Mélanges m'a enthousiasmé et encouragé à écrire des pastiches. C'est pour moi un jeu littéraire particulièrement créatif et passionnant. Ainsi, il m'est arrivé d'"imiter" (ou de tenter d'"imiter") beaucoup d'auteurs que j'apprécie tels que Flaubert, Stendhal, Zola, Céline ... Boileau, Molière ... Quand j'ai appris que la Société des Amis de Marcel Proust organisait un concours de pastiche, je n'ai pas hésité.
- Quels conseils donneriez-vous à une personne qui hésiterait à se lancer dans l'édition 2020 de ce même concours ?
Jean-Jacques Salomon : Pour moi, il n’y a pas un, mais des styles proustiens. En revanche, il n’y a bien qu’un homme, à l’esprit récursif et au jugement social malicieux. A celui qui hésite, je dirais qu’il doit se demander non s’il saura écrire à la manière de Proust, mais s’il se sent capable de penser comme lui. Dans ce cas et s’il y trouve du charme, il devrait se lancer. Les mots pour le dire arriveront aisément.
Maya Barreau : Se confronter à un génie littéraire est intimidant, mais un peu d’humour et d’humilité lèvera ce frein. Chez Proust, la société, l’amour, les paysages, l’art… sont autant de sujets d’inspiration. Si, sur un de ces sujets, on arrive à faire sourire, à émouvoir, à enthousiasmer les amoureux de cet immense écrivain, le pari est gagné – au moins auprès des lecteurs !
Philippe Morel : D'abord de trouver l'idée, l'angle d'attaque qui restera proche de l'univers proustien. On peut chercher longtemps, suivre des pistes infructueuses avant de trouver son pavé de Guermantes. Ecrire le premier jet et le retravailler, bien sûr, comme le disait Boileau : "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse et le repolissez." Il ya le style, évidemment. On peut s'inspirer d'une réflexion de Jean-Yves Tadié pour qui la phrase proustienne doit être "structurée, comporter des images poétiques, des éléments comiques et des éléments de connaissance. Y parvenir n'est pas aisé."
Gilles Lucas : Pas d'hésitation ! Si vous aimez Proust et avez le goût de l'imitation, allez-y ! Se glisser dans le style d'un écrivain aussi renommé, quel plaisir !
- Qu'est-ce qui vous a paru le plus difficile dans cet exercice de pastiche proustien ?
Jean-Jacques Salomon : Quand on se lance dans le pastiche proustien, on court le risque de faire la part trop belle à l’inflation des mots. Comment conserver les allers-retours de la pensée qui fondent le genre proustien sans tomber dans la caricature ? La plus grande difficulté a été pour moi d’éviter ce risque tout en sacrifiant aux exercices obligatoires que sont la phrase longue, l’abondance métaphorique et la liberté de ponctuation. La question du dosage, en somme !
Nicolas Fréry : Je crois qu’une difficulté majeure qui se présente au pasticheur est d’écrire un texte qui réunisse nombre de procédés emblématiques du style d’un écrivain sans pour autant en être excessivement saturé. D’abord parce que le pastiche, dès lors qu’il n’aspire pas à être une parodie, doit se garder de verser dans la caricature (tout juste peut-il être un miroir grossissant), ensuite parce qu’il ne s’agit pas de constituer mécaniquement un répertoire de particularités stylistiques, mais de tenter de se mouler dans l’univers d’un écrivain. Il en résulte que le pastiche, bien qu’il repose avant tout sur l’imitation du rythme, des tournures, des choix lexicaux, n’est pas un pur exercice de forme : il faut aussi – chose épineuse – avoir l’intuition d’un sujet dont l’auteur aurait pu traiter, et qui soit en harmonie avec les ressources stylistiques déployées. Il n’est pas simple, à cet égard, de développer ce sujet dans un texte qui, malgré sa brièveté, soit doué d’une cohérence interne (alors que l’auteur pastiché ne construit pas nécessairement son œuvre à partir de courtes unités textuelles). Le pastiche, en somme, repose sur un principe de condensation : condensation des traits stylistiques – évitant la saturation – et, bien souvent, condensation de l’anecdote, pour composer un bref texte qui vaille comme un échantillon représentatif tout en ayant un intérêt autonome (car s’il n’en avait pas, pourrait-il donner l’illusion d’être de la plume d’un grand auteur ?).
Maya Barreau : Je parlerais plus de défi que de réelle difficulté. A propos du pastiche, Marcel Proust – pasticheur lui-même – parle de « critique en action ». Le défi, c’est de trouver un équilibre entre empathie et critique. Laisser résonner Proust en soi, et en même temps comprendre certains mécanismes de sa pensée et de son style. A partir de là, on peut écrire une petite histoire originale qui sonnera juste. Sans oublier une note d’humour.
Philippe Morel : Trouver un thème, une idée. J'ai finalement, et presque fortuitement, fait le rapprochement avec un événement politique de l'année 2018 ; dès lors le titre coulait presque de source et commandait la suite.Je ne sais pas très bien comment cette mayonnaise a pris, l'inspiration aurait pu venir de n'importe où ! Ensuite la rédaction : rester proche de l'auteur, de son univers (événements, personnages,...), de son style, en évitant de copier trop platement tout en restant original. Une sorte de quadrature du cercle.
Gilles Lucas : Trouver un sujet intéressant avec un angle original. Dans mon cas, j'ai fait le choix d'une mise en abyme. Ne pas proposer qu'un simple décalque des épisodes les plus célèbres de la Recherche. Pour ce qui est du ton adopté, je l'ai voulu résolument humoristique. En outre, je me suis demandé s'il fallait situer l'histoire à l'époque de Proust ou aujourd'hui. J'ai choisi notre époque. Au cours de l'écriture proprement dite, composer des phrases longues, par exemple, n'a pas été un exercice aisé. Grammaticalement parlant, il fallait produire quelque chose de correct.
Visite de l'exposition "Versailles Revival" au château de Versailles le samedi 7 mars
Le château de Versailles présente, jusqu'au 15 mars, une exposition intitulée "Versailles Revival". Elle traite de l'engouement des artistes et des écrivains pour le château, entre 1867 et 1937. Une section est consacrée à Marcel Proust, avec notamment le tableau du parc du château que le peintre Paul-César Helleu offrit à son ami écrivain (et le portrait de Proust par Jacques-Emile Blanche, qui était il y a peu à la Maison de Tante Léonie !).
http://www.chateauversailles.fr/actualites/expositions/versailles-revival-1867-1937#exposition
Les amis de Proust ont visité cette exposition le samedi 7 mars avec Lionel Arsac, conservateur au département des sculptures, auteur des pages consacrées à Proust dans le catalogue de l'exposition.
Voici le compte-rendu de cette visite, rédigé par Mme Brigitte Albert-Jacouty, adhérente de l'association :
Samedi 7 mars 2020, vingt-six « Amis de Proust » réunis à Versailles à l'invitation du président Jérôme Bastianelli ont parcouru l'exposition Versailles revival... dans l'espoir d'y retrouver le Versailles de Marcel Proust. Ils furent comblés !
Après un déjeuner à la Brasserie du Théâtre, qui se passa "à en parler", la journée commença vraiment devant le numéro 7 de la rue des Réservoirs : Lionel Arsac, conservateur au château, guide pour la circonstance, rappela que l'hôtel dit "de la Pompadour" était devenu au XIXème siècle le fameux "Hôtel des Réservoirs", établissement hôtelier de prestige, donnant directement sur le parc du château, où Marcel Proust séjourna par deux fois : quelques mois en 1906, affligé par le deuil de sa mère, et en 1909, plus brièvement, tandis que se dessinait le projet d'écriture d'où naîtra la Recherche.
Au sein du château, l'exposition regroupant 350 pièces rarement réunies se proposait de montrer la re-naissance ("revival" !) de Versailles, de 1863 à 1937 : du Second Empire à la Belle Epoque, et au-delà, combien le château et son parc ont suscité curiosité et engouement, mais aussi la nostalgie des fastes rêvés de l'Ancien Régime !
C'est avec le Second Empire - et en particulier grâce à la sympathie de l'impératrice Eugénie pour la reine Marie-Antoinette - que s'amorcent "les prémices d'un renouveau", tant au plan politique qu'artistique, sous l'influence de conservateurs tels qu'Eudoxe Soulier et surtout du fin lettré, "érudit et poète de Versailles" Pierre de Nolhac, en poste de 1890 à 1920, que ses amis Robert de Montesquiou et Reynaldo Hahn présentèrent à Marcel Proust.
Outre la fascination qu'exerce alors Versailles sur les arts décoratifs, la force symbolique de ce palais de pouvoir se manifeste par des visites diplomatiques fastueuses comme celle de la reine Victoria en 1855, immortalisée par les aquarelles d'Eugène Lami ou du décorateur franco-russe Alexandre Benois, ami de Diaghilev. Toujours dans le domaine politique, l'exposition reflète aussi les conflits solennellement clos dans la Galerie des Glaces : guerre franco-prussienne de 1870 où triomphe Bismarck, en un tableau monumental, et Grande Guerre, conclue fin juin 1919 par la signature du Traité. Entre 1871 et 1879, la Chambre des députés puis le Sénat, donc la République, investissent l'Opéra royal puis l'Aile du Midi. Plans et tableaux relatent cette installation.
Quid des jardins fort dégradés? Se pose alors la question de les "redessiner", charge confiée à Questel et Lambert, partagés entre remodeler ou accepter l'œuvre du temps. La Société des Amis de Versailles, créée à cet effet en 1907, est présidée non par Robert de Montesquiou, auteur pourtant des "Salles vertes", mais par Victorien Sardou.
Très attendue des proustiens, la salle joliment nommée "Le jardin des poètes" s'ouvre par une interprétation fort libre d'une "Colonnade à Versailles" par Giovanni Boldini, portraitiste mondain. En lien avec le Faubourg Saint Germain, Versailles fait figure de "Salon littéraire" où paraissent le portrait de Montesquiou en gris, par le même Boldini, face à celui de son ami Gabriel d'Yturri, aux côtés de la représentation bien connue de Marcel Proust par Jacques-Emile Blanche. La salle suivante, "Automne versaillais", est placée sous l'égide des Plaisirs et les Jours : "Versailles, grand nom rouillé et doux, royal cimetière de feuillages, de vastes eaux et de marbres", écho du célèbre tableau offert à Marcel Proust par Paul-César Helleu dans l'esprit des lieux, avec ses feuillages rougis, ses bassins, ses statues, autant de "liens entre le monde de Marie-Antoinette et Louis XIV ", plaçant au premier plan une dame élégante et claire, "villégiaturant ".
L'exposition se referme sur les influences, parfois étonnantes, de l'image de Versailles : Palais Rose de Boni de Castellane, reproduisant Trianon à Paris, sur l'Avenue du Bois que fréquentait Odette..., châteaux de Louis II de Bavière - le "Louis XV" Linderhof, le" Louis XIV "Herrenchiensee - la Marble house d'Alva Vanderbilt à Newport, jusqu'au paquebot "France", "Versailles des mers"...
Figures mondaines et mécènes comme Robert de Montesquiou que la "vasque rose" de Versailles accompagna dans toutes ses demeures ou la comtesse Greffulhe, musiciens, comme Reynaldo Hahn, écrivains, tels Henri de Régnier ou l'auteur des "Perles rouges", hommage ému à Marie-Antoinette, et bien sûr, Marcel Proust, peuplent cette "re-création" d'un Versailles idéalisé, parfois mélancolique, parfois éclatant de fêtes fastueuses, jaillissantes comme ses fontaines, certes plus fantasmé que réel ...
Analepses, imagination et mémoire : comment ne pas être comblé par ce fragment de "temps retrouvé" ?
Merci à Lionel Arsac et Jérôme Bastianelli.
Brigitte Albert-Jacouty



Plusieurs manifestations proustiennes dans toute la France à l'occasion de la Nuit de la lecture
A l'occasion de la "Nuit de la lecture" organisée par le Ministère de la Culture, plusieurs événements proustiens sont prévus dans toute la France :
https://nuitdelalecture.culture.gouv.fr/Programme#/search?query=proust@47.187188508519796,3.0854194060820817,6.029676085572353
Symposium "Arts, littérature et genres sexuels au temps de Marcel Proust et André Gide" à Paris
Mercredi 26 février, dans la salle des fêtes de la Mairie du XIe arrondissement de Paris, est organisé un symposium intitulé : De la belle époque aux années folles, Arts, littérature et genres sexuels au temps de Marcel Proust et André Gide.
En voici le programme :
9 :15 Accueil des participants et présentation par Perrine PONTIE et Christophe HENRY
MATINEE – DES SECRETS DE L’INTIMITE A L’EXPLORATION DU DESIR Présentation : Delphine DESVEAUX (Collections Roger-Viollet, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris)
9h45 Perrine PONTIE (Université d'Aix-Marseille) « Eros dévoilé: L'écriture masculine du désir dans la première moitié du XXe siècle »
10h15 Manon SECQ (Université du Havre et ESADHaR) « Sade mon prochain de Pierre Klossowski (1949), ou comment réhabiliter Sade ? »
11h Pause
CONFERENCE DE CLOTURE DE MATINEE
Présentation : Martine DEBIEUVRE (Première adjointe au maire du 11 chargée de la culture et de la mémoire)
11h15 Luc FRAISSE (Université de Strasbourg et Institut universitaire de France) « Proust et l’idolâtrie : du fétichisme à l’esthétique »
12h15 Débat de clôture de matinée
12h30 Pause méridienne
APRES-MIDI – GENESE D’UNE PENSEE DU CORPS : LA MODE, LE GENRE ET LE MODELE
Présentation : Joëlle ALAZARD (Professeur de chaire supérieure, Lille, Lycée Faidherbe)
14h15 Delphine DESVEAUX (Collections Roger-Viollet, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris) « Proust, les proustiens et les vêtements Fortuny : une évocation des contraintes et autres turpitudes »
15h Helline LOISEAU (Lille, lycée Faidherbe) « Identités sexuelles et de genre à travers Jésus-la-Caille de Francis Carco»
16h Pause
16h15 Louise BACAUD (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) « Le corps de la femme selon Gide »
CONFERENCE DE CLOTURE DE JOURNEE
Présentation : Cécilie CHAMPY-VINAS (Conservateur du patrimoine, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la ville de Paris)
17h15 Philippe THIEBAUT (Conservateur général honoraire du patrimoine) « La littérature, l'art et le genre : le comte Robert de Montesquiou-Fezensac (1855-1921) modèle littéraire »
18h Débat de clôture de journée
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