Page 30 - Brochure Thomas Alexander Harrison
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          Je comprends que l’image de ce que nous avons été dans une période
          première ne soit plus reconnaissable et soit en tous cas déplaisante. Elle
          ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous
          avons vraiment vécu, que c’est selon les lois de la vie et de l’esprit que
          nous avons, des éléments communs de la vie, de la vie des ateliers, des
          coteries artistiques s’il s’agit d’un peintre, extrait quelque chose qui les
          dépasse. » Cet impératif moral, exposé par Elstir et finalement incarné
          par le chef-d’œuvre littéraire de Proust insiste sur le fait que l’art doit
          embrasser dans leur ensemble et avec fidèlité les bons et les mauvais côtés
          de l’existence, comme l’a observé Roger Shattuck, le meilleur interprète
          de Proust : « le roman déploie l’expérience de toute une vie qui élargit le
          champ de notre compréhension de l’amour, de la mémoire, du snobisme ;
          et l’un des principaux messages qui en ressort, c’est que la littérature,
          avec son merveilleux avantage de transparence, de structure et d’appari-
          tion au bon moment, n’est pas supérieure à la vie : elle est à son service.
          Instructif, le roman de Proust cherche à nous montrer les ressources de
          l’existence non dans une œuvre d’art mais en nous-mêmes. »

          La perspective d’expatrié d’Harrison — réponse exacerbée de l’étranger
          au banal — a fort bien pu provoquer l’étincelle des ambitions littéraires
          du jeune Proust âgé de vingt-quatre ans. À travers Harrison, il entrevit
          ce que pouvait être l’expérience de l’expatriation américaine en Bretagne
          (qu’il transporte en Normandie dans son roman), en particulier l’atten-
          tion aux gris flous et translucides et une sorte d’engouement naïf pour le
          paysage pur comme complément du paysage mental. […]

          En cela, le mouvement tonaliste américain, avec Whistler et Harrison
          à l’avant-garde, loin d’être une ramification des modes européennes en
          matière artistique, fut une force de progrès en soi, jouant un rôle signi-
          ficatif dans le développement en Europe du mouvement symboliste en
          art et en littérature.
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