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orateur fougueux non dissemblable à Jean Jaurès, a écrit et milité
avec passion et force sur tout ce qui concerne l’humanité et
l’univers. Cet « homme de génie » – le mot est de Proust et répété
à maintes reprises – est un Victorien à facettes multiples :
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pédagogue, défenseur du patrimoine et de l’environnement,
dénonciateur des injustices, critique d’art acerbe, champion de JMW
Turner pour qui il a écrit Peintres modernes, artiste et grand
francophile. C’est un homme vigoureux, qui aime marcher,
escalader, peindre et décrire les Alpes (il est élu membre du
prestigieux Club alpin) aussi bien que les églises et les cathédrales.
Proust découvre l’originalité – l’excentricité si vous préférez – du
penseur anglais, qui ose s’exprimer librement sans peur, mais
toujours avec une dialectique implacable apprise à l’université
d’Oxford. Les grands esprits sont toujours sensibles aux autres
grands esprits avec qui ils peuvent communier plus complètement
et plus profondément.
Proust s’est vite plongé dans la lecture et l’assimilation des
nombreux ouvrages de Ruskin, dans l’élaboration d’articles, et la
traduction-interprétation de The Bible of Amiens qui traite de la
cathédrale d’Amiens, et de Sesame and Lilies, conférences sur la
lecture, et sur l’éducation de la femme. Il connaissait tellement bien
le style de Ruskin qu’il en a même fait un pastiche ! Par ce travail
intense, Proust absorbe les paroles et la voix de son maître jusqu’à
en devenir intoxiqué, et entretient avec lui une communion
personnelle en dialoguant dans ses notes et commentaires. De plus,
l’écrivain français entreprend des pèlerinages surtout gothiques
dans les pas de Ruskin en Normandie, en Picardie, en Bourgogne,
en quête de matériau pour son roman. Notre romancier va encore
plus loin pour communier avec l’auteur des Pierres de Venise :
22 La Bible d’Amiens, p. 44, 51.
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« Et mon admiration pour Ruskin donnait une telle
importance aux choses qu’il m’avait fait aimer qu’elles me
semblaient chargées d’une valeur plus grande même que celle
de la vie. Ce fut à la lettre, et dans une circonstance où je
croyais mes jours comptés, je partis pour Venise afin d’avoir
pu avant de mourir, approcher, toucher, voir incarnés en des
palais défaillants mais encore debout et roses, les idées de
Ruskin sur l’architecture domestique au Moyen Âge . »
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Malgré tout l’intérêt que Proust portait à Ruskin et à la Grande-
Bretagne, il n’a jamais séjourné dans ce pays. Un jour, pourtant, en
1889, il a aperçu la ville de Douvres et les falaises blanches, et a humé
l’air marin anglais lors de son arrivée en bateau après une traversée
difficile de la Manche à partir d’Ostende. Mais Proust n’est pas
descendu, et est resté à bord pour vite retourner en Belgique !
Ruskin, au contraire, qui aimait tant la belle France, a parcouru ce
pays et a œuvré pour sauvegarder son riche patrimoine, telle que la
cathédrale Notre-Dame de Paris qui risquait d’être ravagée pendant
la Guerre Franco-Prussienne et la Commune en 1870-1871.
Proust a tiré un bénéfice énorme de l’étude du maître anglais – une
richesse intellectuelle, ainsi que le sens de la discipline et du
sacrifice. Cette fusion avec le penseur britannique sera la force
matrice qui l’incitera à se consacrer à À la Recherche du temps perdu.
Camille Groult, le célèbre collectionneur d’œuvres d’art, a honoré
Ruskin, à sa mort, en achetant un tableau de William Turner. À ce
propos, Proust a remarqué : « J’imagine que cette offrande au mort,
cette offrande un peu païenne de ce qu’il avait le mieux aimé sur la
terre, eût été la plus douce au cœur de Ruskin. Et je me souviens
qu’à l’époque j’avais cru voir là quelque chose comme un geste de
23 La Bible d’Amiens, p. 78-79.
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