Page 39 - BRO_Adrien Proust
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Discours d’Adrien Proust,
lors de la distribution de Prix à l’école supérieure d’Illiers,
le 27 juillet 1903
→ Défense de Châteaudun
pendant la guerre
de 1870
(gravure d'après
le tableau de
Félix Philippoteaux)
Messieurs, vous habitez un pays qui vous semble moins beau qu’un étranger
qui le visiterait, simplement parce que vous le connaissez trop, mais à cause de cela
même un jour vous l’aimerez mieux que ceux qui n’y ont pas passé leur enfance,
parce qu’entre lui et vous se seront tissés à votre insu ces fils mystérieux dont parle
le poète et qui lient indissolublement notre cœur aux lieux où nous avons vécu.
On a cru longtemps que les pays de plaine étaient moins beaux que les pays accidentés.
Aujourd’hui, les plaines sont la mode, si l’on peut ainsi dire. Et, de ce fait, il n’est
pas absurde que certains aspects de la nature soient à de certains moments à la mode.
Cela arrive quand un grand artiste ou une grande école d’artistes nous a révélé cer-
tains aspects nouveaux de la nature auxquels notre cœur était resté jusque-là fermé.
Au temps du Romantisme on n’aimait que les fleuves torrentueux, coulant irrégu-
lièrement entre de hautes montagnes, bizarrement couronnées de castels en ruine.
Aujourd’hui, c’est dans ces grand espaces dont la monotonie fait la puissance
que le paysagiste ira plus volontiers chercher une émotion plus secrète, mais aussi
plus profonde dans ces interminables champs de blé, qui changent comme la mer
selon les caprices des rayons et des ombres, de la brise et de la houle :
Seuls, les grands blés mûris, telle qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil,
Pacifiques enfants, de la terre sacrée
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Ils épuisent sans peur la coupe du soleil .
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