Page 33 - BRO_Adrien Proust
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Discours d’Adrien Proust,
          lors de la distribution de Prix à l’école supérieure d’Illiers,
          le 27 juillet 1903  5





                   Mes jeunes amis, et chers compatriotes,
                   Ce n’est pas sans émotion que j’ai suivi hier le chemin qu’il y a plus de soixante ans
                   je parcourais chaque jour pour me rendre à l’ancienne école, portant mon petit
                   panier qui renfermait la collation du matin et mon petit bagage d’écolier comme
                   les élèves dont parle Horace :
                           Lævo suspensi loculos tabulamque lacerto,
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                           Ibant octonis referentes Idibus æra  .
                   À ce moment j’avais six ans ; tout ce qui est aujourd’hui mon passé et ma vie,
                   qui a ouvert sans doute mon esprit à bien des choses, mais qui a aussi bien blanchi
                   mes cheveux, était, au lieu d’être derrière moi, encore devant moi, comme un avenir
                   qui me semblait infini parce qu’il était encore indéterminé. Cette émotion que
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                   j’éprouve en venant ici après soixante ans  , vous ne pouvez peut-être pas bien
                   la comprendre, non que je croie qu’on est moins intelligent à quinze ans
                   qu’à soixante, et qu’on soit apte à comprendre moins de choses. Je crois au contraire
                   qu’on est apte à en comprendre bien davantage. Mais il y a une chose à laquelle
                   la jeunesse est fermée, ou à laquelle elle ne peut s’ouvrir que par une sorte
                   de pressentiment, c’est la poésie, c’est la mélancolie du souvenir. C’est bien naturel.
                   L’état d’esprit qu’a décrit le poète et qui était le mien en arrivant à Illiers :
                           Il voulut tout revoir, l’étang près de la source,
                           Il chercha le jardin, la maison isolée,
                           La grille d’où l’œil plonge dans une oblique allée,
                           Les vergers en talus.
                           Pâle il marchait, au bruit de son pas grave et sombre, souvent.
                           Il voyait à chaque pas, hélas ! se dresser l’ombre
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                           Des jours qui ne sont plus  .



          5.   Extrait du Progrès d’Eure-et-   « 45 rue de Courcelles  C’est probablement à partir
            Loir, 4 août 1903. On trouve    Paris 29 juillet 1903  de ce document que le discours
            dans le fonds Le Masle, de la BnF    Cher Monsieur Albert,  a été reproduit dans Progrès
            une lettre de Jeanne Proust,    Je vous adresse par la poste pour    d’Eure-et-Loir ; malheureusement
            du 29 juillet 1903, adressant    vous et pour Monsieur le docteur   la copie du discours ne figure pas
            à Albert Chapron, désigné par   Roudeau la copie que lui et vous   dans le dossier. L’envoi du discours
            Robert Le Masle comme l’arrière   avez demandée à mon mari.  d’Illiers à un membre de la famille
            petit cousin d’Adrien Proust,    Au cas où vous pourriez envoyer    de son mari met en lumière, dans
            le discours prononcé par celui-ci    à mon mari quelques exemplaires    le complexe jeu de tension
            à Illiers, quelques jours plus tôt,    du discours imprimé il vous    et d’affection entre père et fils qui
            en voici la transcription :   en serait obligé.    se manifeste dans ce texte, le rôle
                                      Pour nos souvenirs les meilleurs  de médiatrice patiente qu’a pu
          30                          J. Proust »              jouer Jeanne Proust.
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