Page 24 - Brochure Thomas Alexander Harrison
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le public achetait un certain genre de peinture et il reproduit donc tout
simplement le même sujet. Il gagne un argent fou et gâche l’artiste en
lui. La plupart des gens qui restent chez eux sont plus ou moins obligés
d’agir ainsi. Ça coûte cher de vivre à New York et ça demande du courage
pour y être pauvre. Quand se pose la question de sacrifier votre famille
ou votre art, c’est généralement l’art qui souffre, alors qu’à Paris, peu
importe que vous soyez riche ou pauvre. »
Une opinion comme celle-ci, qui lui valut de sévères critiques à New York,
témoigne d’un sincère dévouement à sa vocation et explique l’admiration
de Proust pour le personnage d’Elstir. La concentration d’Harrison sur
la splendeur métaphorique de la mer, remémorée et transposée sur sa
toile — ce qui devint à son tour le modèle de l’exploration par Proust
de ses marines et de ses paysages — fait du roman proustien le lieu des
expériences visuelles les plus profondes de la littérature occidentale. La
réponse profondément émotionnelle d’Harrison au sujet qu’il traite, si
différente de l’approche sèchement académique de l’art à cette époque
[en France], a amené Proust à sonder ses souvenirs pour la structure
symbolique sous-jacente du paysage : « je me sentis parfaitement heureux,
car par toutes les études qui étaient autour de moi, je sentais la possi-
bilité de m’élever à une connaissance poétique, féconde en joies, de
maintes formes que je n’avais pas isolées jusque-là du spectacle total de
la réalité. Et l’atelier d’Elstir m’apparut comme le laboratoire d’une sorte
de nouvelle création du monde […]. Mais les rares moments où l’on
voit la nature telle qu’elle est, poétiquement, c’était de ceux-là qu’était
faite l’œuvre d’Elstir. Une de ses métaphores les plus fréquentes dans
les marines qu’il avait près de lui en ce moment était justement celle qui,
comparant la terre à la mer, supprimait entre elles toute démarcation.
C’était cette comparaison, tacitement et inlassablement répétée dans une
même toile, qui y introduisait cette multiforme et puissante unité, cause,
parfois non clairement aperçue par eux, de l’enthousiasme qu’excitait
chez certains amateurs la peinture d’Elstir. »