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Ruskin s’y exprime avec une force de conviction et une autorité –                   de son propos et de ses méthodes d’exposition contraste avec sa
             ou une arrogance, comme il se le reprochera lui-même par la suite                   tenue, d’une rigueur cléricale, une redingote un peu désuète et,
             – peu communes. L’assurance de Ruskin ne repose pas sur  du                         seule fantaisie, une cravate assortie à son intense regard bleu acier.
             sable : grâce à ses précoces voyages continentaux, il a acquis une
             connaissance de première main de l’art européen, remarquable                        Ces  conférences, très travaillées, puis publiées  sous  des titres
             chez un aussi jeune homme.                                                          énigmatiques et  poétiques (Une  Joie  pour toujours,  Les Deux
                                                                                                 Chemins,  La  Reine  de l’air) marquent  un tournant dans ses
             Ruskin, dont l’identité est vite dévoilée, devient une autorité dans                préoccupations et  dans  ses interventions publiques :  ce sont
             le monde de  l’art,  et fait  une  entrée  fracassante  dans celui des              désormais le volet social et le volet écologique avant la lettre qui
             lettres. L’écriture est chez lui non seulement un outil d’analyse et                priment. Bien avant la naissance de l’écologie moderne, Ruskin est
             de communication, mais aussi un instrument poétique : il peint                      l’une des toutes  premières personnalités publiques à  s’être
             avec sa plume.                                                                      alarmée  de la pollution et  de l’enlaidissement  de l’espace
                                                                                                 commun. Révolté par la misère économique, sanitaire, esthétique
             Il n’en oublie pas pour autant ses premières passions, la géologie                  et morale des travailleurs pauvres de l’Angleterre victorienne, il
             et les Alpes. Ruskin garde toujours de multiples fers au feu – pour                 se lance dans une croisade contre les ravages de l’industrie et les
             se reposer l’esprit, puisqu’il ne sait le faire qu’en entreprenant de               taudis, ne ménageant ni sa fortune ni sa réputation.
             nouvelles tâches, et  parce que sa dispersion apparente masque
             une  profonde  unité : la  géologie permet de comprendre  les                       Sa nouvelle orientation déconcerte ou déçoit, quand elle n’irrite
             paysages et par conséquent de les dessiner, le dessin apprend en                    pas – à commencer par son propre père. Il en faut davantage pour
             retour à observer les paysages, les peintures et l’architecture – qui               décourager  Ruskin, dont l’ardeur  est plutôt  stimulée par le
             est elle-même, dans la conception ruskinienne, inséparable de la                    combat d’idées. Les positions de Ruskin sont inclassables : il a été
             société qui la produit.                                                             qualifié de socialiste chrétien, bien qu’il se soit lui-même proclamé
                                                                                                 conservateur, monarchiste et, durant une période assez longue de
             En l’espace d’une quinzaine d’années, Ruskin publie, entre autres,                  sa vie, sceptique. Il voulait rétablir (ou établir) une société de type
             les Peintres modernes – publication-fleuve achevée en 1860 – Les                    féodal dont les classes dirigeantes auraient eu plus de devoirs que
             Sept Lampes de l’architecture, le Préraphaélisme, Les Pierres de Venise             de droits,  qui permettrait à  chacun de vivre  en  exerçant une
             et Les Éléments du dessin. Il s’engage très activement dans la vie                  activité utile et créative. C’est avec cette perspective en tête que
             publique, multipliant  les conférences  auxquelles se presse un                     Ruskin crée la Guilde  de Saint-Georges,  une  association
             public avide. Ruskin  y expose des  théories  profondément                          économique  et philanthropique, dotée d’un musée  destiné  aux
             originales, qu’il met soigneusement  en scène,  utilisant les                       classes laborieuses (qui deviendra  la  Millennium  Gallery  de
             technologies les plus modernes, comme la lanterne magique chère                     Sheffield), pour lequel il se sépare de précieux dessins, minéraux,
             à Proust ou le daguerréotype, jouant de sa voix et de sa diction en                 aquarelles  et manuscrits. Dans  la  conception  ruskinienne, l’art
             comédien consommé, alternant lecture et improvisation. L’audace                     n’est pas un luxe réservé à une élite.
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